Reprenons notre histoire là où nous l’avions laissée, pour nous consacrer davantage au produit et au métier de la famille Grosperrin.
Le cognac, c’est avant tout la vigne
Faisons si vous le voulez bien un tout petit rappel. Toute vigne plantée et déclarée pour le cognac doit légalement aller à la production du cognac. Les cépages autorisés dans l’AOC sont : Ugni Blanc (utilisé en très grande majorité), Folle Blanche, Folignan, Montils, Semillon et Colombard.
Leur vendange doit être très saine : aucune pourriture ni altération, car la distillation a tendance à concentrer tous les défauts. Aucun soufre n’est non plus possible, que ce soit lors de la vinification ou de l’élevage, pour les mêmes raisons. Ainsi la récolte doit être d’autant plus saine.
Cette vigne se répartit en 6 crus, qui sont : Grande Champagne, Petite Champagne, Borderies, Fins Bois, Bons Bois et Bois Ordinaires.
Au cœur du métier de sélectionneur
Lors de notre journée en compagnie de Guilhem Grosperrin, nous avons eu la chance de le suivre à la rencontre d’un potentiel livreur (viticulteur / distillateur). Guilhem prend encore souvent la route, même si aujourd’hui sa renommée (et le fait qu’il achète à des tarifs plus qu’honnêtes) fait que les échantillons arrivent de plus en plus à lui.
Tout d’abord, il faut savoir que la partie embouteillage « propre » à la marque Grosperrin n’est pas tout à fait rentable. Le travail de notre courtier sélectionneur est donc aussi celui du négoce pour les grandes maisons de cognac.
Aussi étrange que cela puisse paraître, les acheteurs des maisons ne savent pas tous vraiment bien déguster les vieillies eaux-de-vie utilisées comme bonificateurs dans les assemblages XO. Ils sont surtout familiers des eaux-de-vie plus jeunes, qui répondent à leurs marchés. C’est dans ce travail d’exploration et de sélection que se trouve la grande valeur ajoutée de Guilhem.
Arpenter un terroir aux 4000 distilleries…
Nous voici donc arrivés dans le cru de Petite Champagne. Dans un bâtiment de l’exploitation, un petit alambic de 900 litres est en train de couler. Des échanges s’en suivent au sujet de la vigne, des cépages, des rendements, de la technique de distillation… Quelques minutes se passent ainsi, avant que Guilhem ne convainque le producteur d’aller visiter le chai.
Le travail consiste ensuite à goûter des eaux-de-vie des années 1980 et 1990, déjà réduites lors du vieillissement, ce qui est plutôt rare. 99 % des volumes de cognacs embouteillés le sont par les négociants. Seuls 1 % le sont par les vignerons eux-même. Les négociants recherchent de vieilles eaux-de-vie brutes, non travaillées, pour les assembler et embouteiller leur cognac. Le producteur que nous visitons fait d’ailleurs cette même distinction entre ses cognacs (des eaux-de-vie déjà travaillées, réduites) et des eaux-de-vie « brut de fût ».
Guilhem en fait de même, car ce type de vieille eau-de-vie est peu propice à un vieillissement ultérieur, dans l’optique d’un futur single cask Grosperrin. Des échantillons sont tout de même prélevés afin de réaliser des essais d’assemblages, dans le cadre de l’activité de négoce. Une dégustation de Pineau retient cependant plus particulièrement son attention, ce sera une affaire à suivre…
…à la recherche de la perle rare
Lorsque Guilhem rencontre une belle eau-de-vie au sein de l’un de ces chais, il tente en général de racheter le fût entier, donc avec le bois. Mais cela n’est parfois pas possible, car les eaux-de-vie les plus vieilles résident souvent tout au fond du chai, les millésimes s’étant accumulés au fur et à mesure devant elles. Elles sont donc très compliquées à récupérer. Il revient alors avec une pompe, pour transférer le futur cognac dans une citerne, qui sera quant-à elle amenée dans le chai.
Là, l’eau-de-vie est placée dans un fût qui a contenu une eau-de-vie du même âge, idéalement plus vieille. Le but est d’améliorer encore le rancio et la maturité. Lors qu’aucune barrique de ce type n’est disponible, l’eau-de-vie est placée dans vieux fût. Celui-ci doit en revanche n’avoir jamais contenu de jeune eau-de-vie. Les profils aromatiques ne sauraient s’assembler, car les arômes de « jeunes » sont un défaut majeur sur une « vieille ».
Avant cette mise en fût, il opère ou pas une réduction, en fonction de ce qu’il compte faire dans le temps. Nul besoin de précipitation, si l’objectif est de garder cette eau-de-vie durant une dizaine d’années.
Réduire peut attendre
Quand une eau-de-vie est riche en esters, en corps gras, il faut faire très attention à la réduction, qui pourrait casser sa structure. Elle doit alors se faire lentement, presque au goutte à goutte. En revanche, dans le cas d’une eau-de-vie distillée avec peu de lies, dans le style des cognacs Martell, une réduction très rapide est permise, et même recommandée. Cette distillation sans lies dans l’alambic permet d’obtenir une eau-de-vie plus pure. Elle peut descendre de 60 % à 48 % sans problème, à plus forte raison si elle a 10 ans pour se stabiliser ensuite.
Le Fin Bois 1990 et le Petite Champagne 1992 ont par exemple reçu une réduction assez forte, mais imperceptible. Selon Guilhem Grosperrin, « si on avait été plus lent, ça n’aurait pas été aussi fondu. On aurait senti que l’eau avait été ajoutée il y a peu de temps, elle n’aurait pas eu le temps de se fondre aussi bien. »
Le choix de la réduction et de sa méthode dépendent donc vraiment de chaque eau-de-vie, et de la connaissance que l’on en a.
Le chai et ses centaines de fûts
Lors de la réception d’une eau-de-vie, il faut aussi décider du chai qui va l’accueillir. La maison Grosperrin en dispose de plusieurs : secs, humides, très humides… le choix se fait en fonction de la maturité déjà acquise.
Lors qu’un fût est prêt à être mise en bouteille, il est amené sur le site de Saintes. Ce chai humide donne la parfaite touche finale, en arrondissant les angles comme il se doit.
Un chai sec est plus intéressant sur le long terme, donc pour les jeunes eaux-de-vie. On cherche alors à développer un profil puissant, aromatique, à son plein potentiel, qui s’arrondira et se fondra plus tard, qui prendra son temps.
Dans l’AOC cognac, sont autorisés les chênes pédonculé et sessile, provenant ou pas de forêt françaises. Pour ses fûts neufs, Grosperrin utilise du bois au grain fin, ce qui est assez rare (à peine 10 % des ventes dans la région).
Quel bois pour quelle eau-de-vie
Le gros grain à chauffe très forte est en principe le plus répandu. La grande majorité du marché est composé de cognacs relativement jeunes. Ce type de fût permet d’obtenir des eaux-de-vie de 4 ans déjà bien rondes, aromatiques, vanillées, chaleureuses, boisées et gourmandes après réduction. C’est donc parfait pour un VSOP ou un jeune XO. 30 % de la production est enfûtée en gros grain pendant 2 ans, et ensuite mélangée dans un vieux contenant ou fût roux (5 à 10 ans), sous peine de trop marquer le distillat.
Pour les très longs vieillissements en revanche, le grain fin est mieux adapté car il conserve les arômes fruités du distillat. Le problème majeur est qu’il s’agit d’un bois qui s’épuise très vite. Il ne donne plus rien au bout de 2 ou 3 saisons. On doit donc avoir très régulièrement recours à des fûts neufs, qui en outre peuvent coûter plus de deux fois plus cher à l’achat.
Le fût favori de Guilhem est le T5 de la tonnellerie Taransaud, un grain fin de 270 litres dont le bois a bénéficié de 60 mois de séchage (Notre article sur la tonnellerie vous permettra d’en savoir davantage sur les bienfaits de ce séchage). Après 2 ans, il donne déjà des résultats très fins et élégants. Typiquement, le cépage Folle Blanche se prête particulièrement à ce type de fût. Un gros grain aurait tendance à prendre le pas sur les arômes de ce distillat si singulier
En contrepartie, au bout de ces 2 ans, ce fût n’apporte plus rien, si ce n’est de l’oxygénation. Un nouveau fût T7 est préparation, avec un temps de séchage tout à fait exceptionnel de 7 années !
La caverne d’Ali Baba
Actuellement, la plus vieille eau-de-vie encore en fût est une 1914-1920. Si l’on parle de bonbonne, la plus ancienne date de 1810 ! Le fameux cognac Grosperrin 52-22 dont nous parlions avec Michael de Swell de Spirits provient lui aussi de l’une de ces très anciennes bonbonnes.
Il existe également un organisme externe de stockage bien particulier, incontournable et unique à la région : l’ORECO (Organisation Économique du Cognac). On y trouve plusieurs centaines de milliers de fûts (!!), qui ont le gros avantage de bénéficier d’une excellente traçabilité, ce qui n’est pas toujours évident chez les petits producteurs, et ce qui explique le peu de cognacs millésimés sur le marché.
Ce magasin général est agréé par l’état. Lors du dépôt d’un fût, on reçoit un « récépissé warrant », un titre de propriété qui se négocie à la banque. Celle-ci rachète ce warrant, ce qui permet au dépositaire de payer son vigneron, son matériel, ses factures etc. Lorsque l’on veut récupérer le fût, on paie tout simplement le montant du warrant à la banque. Les dépôts peuvent durer plusieurs dizaines d’années, et les warrants s’échangent, s’héritent, voire s’oublient…
Dans le dernier article de la série, vous en apprendrez davantage sur les projets de la maison Grosperrin, ainsi que sur les dernières touches que l’on apporte au cognac, juste avant son embouteillage.