Le grand rendez-vous annuel des spiritueux amène toujours son lot de nouveautés, et les distilleries tentent de garder leurs secrets jusqu’à ce jour pour nous surprendre. Nous nous sommes rendus à la cité de la mode et du design dans l’idée de découvrir seulement une petite poignée de nouveaux embouteillages, et comme d’habitude rien ne s’est passé comme prévu…
Après avoir fait un rapide aperçu de ce qui nous attend, il semble que le niveau d’alcool moyen est plutôt élevé. Un petit Uitvlugt 97 de Wild Parrot à 48,9% paraît donc tout à fait approprié pour démarrer la journée. Cet embouteillage très limité est déjà épuisé, c’est donc certainement la seule chance que l’on aura de déguster ce rhum du Demerara distillé en 1997 et embouteillé en 2018.
Au nez, on se retrouve aussitôt perdu dans la jungle des rhums du Guyana. Alors que l’on s’attend à un rhum relativement léger, distillé sur la colonne Savalle d’Uitvlugt, on est franchement sur un profil de type Port Mourant. L’explication est simple, l’alambic du même nom se trouvait sur le site d’Uitvlugt en 1997, d’où la confusion entre alambic et lieu de distillation. Voici donc rhum typique, sur les fruits exotiques et l’amande, avec une touche cuivrée. Il s’agit d’un Port Mourant très agréable et complexe, avec cependant un air de déjà vu.
Alors que l’on découvrira plus tard, et pour la première fois au Whisky Live, une Rhum Gallery entièrement dédiée à notre spiritueux de prédilection, les alcools du monde entier se côtoient au sein de l’espace VIP.
Une galerie de portraits de Palenqueros attire alors notre attention. Les Palenqueros en question sont des distillateurs de mezcal de l’état d’Oaxaca au Mexique, avec qui la société Italienne Velier a choisi de travailler.
Le caractère fumé des mezcals risque de tourmenter le palais en ce début de salon, mais la tentation est trop forte.
On découvre le Mezcal de Valente Garcia, un assemblage de trois variétés d’agave (espadin, mexicano, bicuishe). Il présente des notes de céréales et de brioche grillée, dans un esprit très doux et gourmand.
Celui de Baltazar Cruz a été élaboré à partir de l’unique variété Tobala. D’un aspect fumé, il part sur des notes de viande grillée et montre un aspect plus acide et plus sec.
Le mezcal de Rey Arellanes est une distillation de la variété Tobaziche. Après des premières notes de foin, il se montre très équilibré et fait un peu la synthèse des deux précédents, avec une touche d’iode et une sensation de whisky fumé en bouche, puis une finale sur le poivre. On note qu’à la différence des autres, il sort d’un alambic en terre (les autres proviennent d’alambics en cuivre).
Le mezcal de Juan Hernandez est élaboré à partir de deux variétés d’agave : la Tobaziche et la Tobala. On y retrouve davantage de notes de fermentation, avec de l’olive et des fruits passés.
Celui d’Alberto Ortiz est plus fort. Il provient de la variété Madrecuishe et présente dans un premier temps des notes de bonbon à la vanille. Mais il devient très vite et très fortement fermier, avec une vraie impression d’étable. Sa bouche est intense et poivrée, une belle expérience.
Nous arrivons juste à temps pour assister à la mise à mort des bouteilles de Caroni de la nouvelle série “Employees“. Comme pour les mezcals, il s’agit d’une galerie de portraits des employés de la mythique distillerie de Trinidad aujourd’hui fermée.
Voici donc un Caroni 98 de 20 ans d’âge, en l’honneur de Dennis “X” Gopaul qui a travaillé à la distillerie entre 1988 et 2003, l’année de sa fermeture. C’est un assemblage de 5 fûts qui ont vieilli 20 ans sous climat tropical.
Son nez est assez sec, toasté et puissant, mais s’ouvre rapidement sur quelque chose de gourmand, épais et profond. En vrac, des notes de cuivre, d’amande et de fruits rouges, puis une finale longue et pâtissière.
La bouteille dédiée à John “D” Eversley est un Caroni de 1996, soit un rhum de 22 ans d’âge. Il semble plus léger que le précédent, avec des arômes de poire et de salade de fruits oxydés et rustiques. C’est un Caroni qui pencherait vers un Port Mourant au bois plus toasté. La bouche est plutôt calme et équilibrée.
On continue la découverte des rhums les plus attendus et convoités, avec les premiers Long Pond embouteillés par Velier. Ces deux monstres jamaïcains se situent dans la gamme des “continental flavoured“, soit les rhums les plus chargés en arômes, initialement destinés à muscler des assemblages.
Le Long Pond 2007 est un rhum de 11 ans qui porte la mark TECC, le réglage qui produit les rhums les plus chargés de la distillerie. C’est un rhum typiquement “high ester“, moins sauvage qu’un Hampden, avec un profil plus velouté. La gourmandise est de mise, avec des notes pâtissières, du noyau, des sucs de fruits bien mûrs et un côté brioche ou pain de mie bien moelleux. La bouche est puissante et porte des notes cuivrées et fumées.
Le Long Pond 2003 porte la mark TECA, un réglage à priori plus léger que le précédent au moment de la distillation. Mais son âge plus avancé (15 ans) lui a permis de développer un profil encore plus lourd durant son vieillissement. Le nez est plus piquant que sur le 2007, avec une sorte de fraîcheur métallique, des arômes de soudure et de soufre. La bouche est explosive et lourde. Le métal est toujours présent et s’entoure de tanins de fruits noirs comme la myrtille et la mûre.
Nous quittons l’espace VIP pour découvrir la Rhum Gallery. De grands noms de la Martinique nous accueillent dès l’entrée, et l’on se frotte les mains à l’idée de découvrir les nouveautés de Neisson et Bally.
Pour se remettre de notre virée jamaïcaine, rien de mieux que la pureté d’un rhum agricole blanc de chez Neisson. Le 52,5% Bio nous avait impressionnés de par son ampleur et sa générosité, et voici un autre 52,5% issu d’une parcelle en conversion Bio, c’est-à-dire déjà vierge de tout traitement chimique mais en attente de certification définitive. L’effet escompté est bien là, voici un très beau rhum blanc qui brille par sa clarté et son équilibre, avec son poivre savoureux et ciselé.
La gamme des Élevés sous bois s’enrichit de deux références cette année :
Le fameux Profil 105 se voit attribuer une mention Bio, avec pour résultat un rhum équilibré, au boisé légèrement toasté et vanillé. L’attaque en bouche est belle, vive et pleine, le rhum est simplement bien fait, clair et intense.
La distillerie Neisson met cette année en valeur un nouveau profil de chauffe pour ses fûts : le profil 107. La maturité de ces jeunes rhums élevés en fûts est toujours aussi impressionnante. Le profil est épicé, avec des fruits à coque déjà bien gras qui enrobent un rhum agricole encore frais. Une petite pause laisse s’installer des notes de miel qui se retrouvent ensuite dans une bouche solaire et brillante.
Derrière le stand Saint James et Bally se trouve le président de l’AOC Martinique, Mr Marc Sassier. Il y présente son dernier brut de fût Bally, un millésime 2000 sélectionné pour LMDW. L’absence d’ouillage (mise à niveau du niveau du rhum dans le fût pour contrer la part des anges) a donné des millésimes très concentrés jusqu’ici, voyons ce que celui-ci nous réserve : le nez s’ouvre sur une compote de pommes rustiques et sur des fruits séchés encore assez frais, au milieu de tanins fondus. La concentration se fait de plus en plus sentir avec le temps et un petit vernis vient parfaire le tableau. La bouche offre la même pomme oxydée, au sein d’une salade ou même d’une compote de fruits rustiques. La finale est moyennement longue. Le profil de ce millésime 2000 est différent des deux précédents, ceux-ci laissant moins de place aux fruits et proposant un registre plus boisé et confit.
La Guadeloupe est de plus en plus fièrement représentée par Longueteau, cette distillerie familiale qui présente une version ambrée de son brut de colonne appelé Genesis. Son nez intense de canne fraîche est ici rendu beaucoup plus moelleux. Il va même chercher des notes très sucrées de bonbon à la vanille et à la fraise. La bouche est puissante et ample, les épices prennent le contrôle jusqu’à une finale bien poivrée, sur la bagasse.
Nous quittons l’agricole et les Antilles françaises et nous nous retrouvons un pied en Jamaïque et l’autre à Cognac, avec le stand toujours très fourni de Plantation. Les deux nouveaux embouteillages “Extrêmes” font parler d’eux depuis un moment et nous les apercevons derrière la longue rangée des nouveaux millésimes.
Nous décidons d’étalonner notre palais avec un millésime 2005 de Jamaïque, assemblage de rhums de 12 ans provenant des distilleries de Clarendon et de Long Pond, mariés pendant un an en ex-fût de Cognac à la maison mère de Plantation, en Charente. La gourmandise est au rendez-vous, ainsi que le fameux “funk” jamaïcain. Voici une salade de fruits toute exotique qui résume bien le style de cette île tout en permettant une approche en douceur.
Passons à la série des Extreme, ces bruts de fût sans aucun ajout de sucre (à la différence de la gamme habituelle de Plantation) sortent en édition très limitée et s’adressent aux palais les plus exigeants.
Le premier porte la marque ITP de la distillerie Long Pond en Jamaïque. C’est un millésime 1996 avec 22 ans de vieillissement. Plutôt léger au moment de sa distillation, il a grandement profité de son repos en fût pour développer sa palette aromatique. Son nez est délicat et plutôt élégant, avec une salade de fruits tropicaux et un ananas doré. Sa bouche est puissante mais épaisse et gourmande, toujours sur les fruits exotiques, avec une note radicalement cuivrée.
Le deuxième rhum de cette série numéro 3 des Extremes est un HJC 1996 de 22 ans également, qui se situe dans la tranche supérieure de ce que peut produire Long Pond en termes de lourdeur aromatique. Il semble plus pâtissier, plus corpulent, et sa bouche puissante aux notes d’amande et de fruits exotiques cuivrés penche du côté du whisky ou encore des rhums Port Mourant du Guyana.
Cette série des Extreme s’adresse donc à un plus large public du point de vue de l’accessibilité gustative, mais elle pourra aussi séduire les experts de par son expression nuancée de la Jamaïque.
Profitons de notre passage chez nos amis de Fair pour s’essayer une nouvelle fois à une nouvelle catégorie : Le Gin. Cet Old Tom est un peu sucré et a été passé en fût de rhum. Son nez gourmand embaume le poivre du Sechuan et sa bouche est épicée mais très douce. Voici un spiritueux très agréable que l’on imagine bien accompagner des plats comme des crevettes à l’ail et à la citronnelle à la plancha. C’est un produit très sympathique qui se prête forcément à la mixologie, mais également à la dégustation, avec des écorces d’oranges très savoureuses en finale.
En tant qu’inconditionnel de la distillerie Jamaïcaine Worthy Park, je ne pouvais pas manquer l’arrivée de trois nouvelles finitions au sein de leur gamme d’embouteillages officiels. Alors que les finitions Oloroso et Marsala avaient ouvert la voie l’année dernière, voici leurs dernières réalisations en ex-fûts de Porto, de Sherry (Oloroso et PX) et de Madère.
Le finish Porto est un rhum de 9 ans qui a vieilli intégralement en Jamaïque avant d’être transporté au Danemark pour bénéficier de sa finition pendant 1 an. La touche banane de Worthy Park est intacte, elle est juste posée sur une petite astringence de tanins de fruits rouges.
Le finish Sherry a été réalisé sur une base de rhum vieilli 4 ans en ex-fût de Bourbon. Après avoir passé 18 mois en ex-fûts de Sherry, il ajoute à sa palette des notes chocolatées, toujours dans un esprit brioché et moelleux.
Le finish Madère (conçu de la même manière que le Sherry) donne sans doute le résultat le plus étonnant, puisqu’il revêt des airs de rhum agricole, avec de douces notes de canne. Astringent à l’attaque en bouche, il se fond ensuite en banane teintée de jus de canne.
La distillerie présente également un prototype de 12 ans, un des plus vieux Worthy Park que l’on puisse trouver. Concentré, avec du corps, il déploie tout en ampleur et en complexité ses notes briochées de banane épicée. Voilà une future sortie à surveiller !
Juste à côté de Worthy Park (et de Hampden qui présentait un très joli stand à l’occasion de la sortie de sa gamme d’embouteillages officiels), nous retrouvons Velier et ses Clairins, son Caroni Replica, mais aussi quelques Long Pond ainsi que des nouveautés Habitation Velier.
Dans la même série que les Long Pond 2003 et 2007 dégustés dans la partie VIP, on pouvait trouver un Cambridge 2005 âgé de 13 ans. Il s’agit du style d’une ancienne distillerie, aujourd’hui disparue, récréé chez Long Pond. C’est un rhum lourd qui dévoile un côté solvant / colle à la manière des rhums de New Yarmouth, avec cependant plus d’équilibre. Très jamaïcain, il déploie son grand bouquet de fruits exotiques très mûrs, proches de la fermentation, avec des notes profondes d’olive et une touche métallique.
Les rhums blancs de la gamme Habitation Velier ont subi un relooking pour mieux s’adapter aux bartenders. C’est donc en bouteille ronde que se présentent les nouveautés de la saison :
Le LROK de Hampden nous séduit d’emblée : c’est un rhum complet, crémeux, avec une certaine gourmandise de fruits séchés, de l’olive et du cuir. C’est tout ce que l’on aime dans cette distillerie, et c’est arrangé à la perfection, avec un toucher gras et soyeux.
Le STCE de Long pond est un rhum plus lourd qui demande plus de temps d’aération, mais son crémeux tapissé de cerise et de poire est une récompense très appréciée.
Habitation Velier regroupe une collection de rhums distillés en Pot Still, qui sont souvent l’apanage des îles de tradition anglaise. Cependant c’est un rhum de la Réunion qui fait son entrée cette année, un rhum bien connu des amateurs de distillats extrêmes : le HERR. Ce High Ester Rum Réunion offre des arômes délirants, de mûre, de myrtille, de sorbet à la fraise. Il est bien plein en bouche et ne brûle pas malgré ses 62,5%. On retrouve la touche Grand Arôme de Savanna en finale, quel voyage !
La distillerie New Grove de l’Ile Maurice a revu le look de sa gamme. L’image de la baie laisse place à un arbre du voyageur et à un style moderne. La série des Single Barrel prend désormais le nom de “Savoir faire“. Le dernier single cask est un millésime de 2009 titrant à 60%. Son élevage en fûts de chêne du Limousin lui a conféré un profil très équilibré, souligné par une pâte de fruits un fumée. L’identité unique de la marque resurgit plus franchement en bouche, avec des fruits à coque torréfiés, du café, de la réglisse et de la pâte de coing.
Comment passer à côté de la distillerie Foursquare de la Barbade, qui présente cette fois une version beaucoup plus distribuée de son Destino, sorti en avant-première et en très petites quantités l’année dernière, pour les 70 ans de Velier. Le style Foursquare est ici concentré sur les fruits à coque, et notamment la cacahuète. La bouche est concentrée elle-aussi, grasse et collante, la distillerie semble gagner en puissance aromatique et en intensité avec ses derniers embouteillages, ce Destino montrant les mêmes qualités que le millésime 2005.
Quoi de mieux pour terminer cette journée, que la distillerie Réunionnaise qui propose les rhums parmi les plus exotiques et gorgés d’arômes, j’ai nommé Savanna et ses Lontan. Elle nous gâte cet automne avec une collection de 4 grand arômes aux étiquettes magnifiques.
Mais commençons en douceur avec la nouvelle cuvée 10 ans “Maison blanche” de 2006, exemple du savoir-faire de la maison dans le domaine des rhums traditionnels de mélasse. C’est un style résolument anglais qui est représenté ici, encadré par une résine concentrée et très moelleux en bouche, avec un soupçon de canne fraîche. Alors que les éditions précédentes penchaient du côté du whisky, cette dernière en date est un archétype de rhum gourmand, équilibré et concentré.
Commençons enfin la série des Lontan avec un rhum de 14 ans, assemblage de distillats vieillis en ex-fûts de Porto et ex-fûts de Cognac, embouteillé à 57%. Le nez est ample, ouvert, avec des arômes typiques de Lontan (olive, raisins secs, fruits très mûrs) caressés par des notes florales de violette. Il se montre très huileux en bouche, extrêmement gourmand et équilibré par un boisé imbibé de fruits. Superbe.
Le brut de fût de 10 ans élevé en chai humide fait suite au 8 ans qui avait rencontré un franc succès, il fait donc l’objet d’une certaine attente. D’un caractère plutôt doux au nez, il est acide et fruité en bouche, avec des marqueurs de Lontan qui se développent sans cesse jusqu’à une finale marquée par des raisins secs et une petite pointe métallique.
Le Single Cask brut de fût de 14 ans sélectionné par LMDW est concentré sur des notes plus légères et semble puiser son originalité dans des notes cendrées et un toucher vaporeux.
Le dernier Single Cask est un Lontan de 10 ans affiné en fût de HERR. Plutôt que d’apporter un cran supplémentaire de puissance aromatique, cet affinage amène de l’équilibre, de l’ampleur et du moelleux, c’est une très belle réussite.
Il est temps de se diriger vers la sortie, car même après un ou deux encas à la cocktail street attenante, nous sommes ivres de foule et de bruit (et oui, un peu de rhum aussi…). C’est toujours un plaisir de retrouver la grande famille du rhum, avec ses passionnés amateurs et professionnels, et nous avons hâte de comparer nos impressions et nos notes durant les jours à venir.
Post Scriptum : C’est justement un ami passionné nommé Damien qui va nous porter l’estocade sur le chemin du retour, en nous dénichant une curiosité tout droit sortie de la masterclass d’Alexandre Gabriel, le patron de Plantation. Il s’agit de la première distillation après restauration d’un alambic Vulcain (alambic à chambre – à retort vertical) sur le site de la West Indies Rum Distillery à la Barbade. Au départ conçu pour la distillation de Rye (whisky de seigle), il était employé pour distiller un des rhums qui entraient dans l’assemblage de la Navy. Son nez propose un style original, truffé et terreux, et sa bouche est puissante mais surtout à la fois pâtissière et végétale, très intéressante.