Une grande vague de bruts de fûts venue de Marseille vient de heurter la planète rhum. Il y en a de toutes les couleurs et pour tous les goûts, car Guillaume Ferroni a une nouvelle fois déployé toute son inventivité pour travailler chaque fût à sa façon. Nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec lui pour mieux connaître et comprendre son travail. Nous avons ainsi passé en revue toutes les dernières sorties, et appris beaucoup au passage !
Ferroni Brut De Fût Australie 2013 60,4°
“Cet Australien est très travaillé, c’est dur de retrouver le rhum original. Il y a un gros impact du fût, car c’est un fût de muscat de premier remplissage. Pour éviter que les fûts soient méchés (ils sont souvent méchés au soufre pendant le transport, pour éviter que le vinaigre ne s’installe), on va les chercher directement le jour où ils vidangent, et on transporte du rhum dedans. Ils sont ultra imbibés, il y a encore du muscat qui coule des douelles. Ils n’ont servi que pour du muscat donc il y a encore plein de tanins.
Quand j’ai reçu le rhum, il était en ex-fût de bourbon. Nous l’avons mis en fût de muscat directement. C’est un rhum qui a évolué de façon très favorable et très régulière. Au début ça sentait vraiment le vin de muscat, cela couvrait même un peu trop, et petit à petit ça c’est oxydé. La dernière année, il est quasiment devenu noir. C’est un rhum qui était plutôt jeune, et il a vraiment pris une robe ultra sombre. On a vraiment des notes de rancio qui se sont développées, comme sur un vieux pineau. L’oxydation dans le fût a très bien marché.
On travaille en liaison étroite avec la coopérative de Beaumes de Venise, donc on récupère les fûts de muscats les plus vieillis, de leur série des « Bois Dorés »”.
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Ferroni Brut De Fût Terres De Pur Jus 2019 63,2°
“La mise en fût a eu lieu en 2019, mais il y a des rhums qui ont été distillés il y a plusieurs années. Le Guyane par exemple, avait facilement 4 ou 5 ans. Le Cap-Vert a été distillé il y a deux ans, comme le Madère, qui avait servi pour la Dame Jeanne n°4. Mais ce ne sont que des rhums blancs, qui n’ont pas vu de bois.
Pour le rhum de São Tome, c’est vraiment symbolique (rires). Je vais souvent au Cap-Vert, où il y a quelques routards allemands qui trouvent que ce n’est plus aussi sauvage qu’avant. Donc ils vont à São Tome, car c’est le Cap-Vert des années 1970, il n’y a encore rien. L’un d’eux m’a dit qu’il y avait un peu de rhum. C’est un peu la même histoire qu’au Cap-Vert, avec l’expulsion des juifs du Portugal pour aller peupler São Tome et le Cap-Vert. Les juifs ont alors ramené leurs alambics etc. Il y a encore un peu de distillation, mais c’est presque une distillation de jungle.
Donc un jour un ami caviste, dont la femme est de São Tome, y est allé et m’a ramené une bouteille. Ça ressemble à un grogue, c’est une production ultra-confidentielle.
On a Le Simon pour la Martinique, Longueteau et Bielle pour la Guadeloupe, Saint Maurice pour la Guyane. Pour le Cap-Vert, on a trois distilleries d’un seul terroir, c’est du grogue de Tarrafal. Pour Maurice c’est la distillerie de Chamarel, et pour Madère, Engenhos Do Norte. Le reste, ce sont des petites quantités, des échantillons. On a Mhoba, et puis une distillerie au Vietnam, tenue par deux français que j’avais rencontrés à Cognac. Il y aussi un peu de Issan, un peu de São Tome, et la Privilège de La Favorite. C’est un bi-millésime 1977/1985.
Il y avait à peu près 180 litres, dans un ancien fût de bourbon qu’on a récupéré juste après que Les Frères de la Côte l’aient embouteillé.”
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Ferroni Brut De Fût Belize 2007 59,8°
“Nous avons deux types de micro-barriques : des 10 litres et des 56 litres. Ce sont les 56 litres qui ont servi pour ce Belize. Ce n’est pas la première fois que l’on fait ça. Ces barriques sont super parce qu’elles sont bien patinées, donc elles donnent beaucoup de goût mais pas trop de bois. Elle ne sont pas trop tanniques. Ce sont déjà des ex-cognac, et puis on a déjà fait plusieurs rhums dedans, dont un Belize d’ailleurs. On les met dans un chai à Marseille où il n’y a que des barriques de 56 litres.
C’est un chai plutôt humide ; donc dès le départ, on a voulu y mettre les eaux-de-vie les plus douces. C’est aussi un chai urbain, donc on a choisi ces barriques pour des raisons de transport. Il y a des marches etc, alors on n’y met que des petits fûts que l’on peut transporter à la main.
Ces barriques ont donc eu au moins 4 ou 5 rotations avant.
Ce sont de très bonnes barriques et tout ce qu’on fait dedans est super.
Au delà du fait que les micro-barriques aromatisent beaucoup, c’est surtout leur qualité qui est intéressante. Sur des barriques de cognac en 350 litres, c’est relativement long d’obtenir des arômes. Il faut en général 4 à 5 ans pour commencer à avoir des choses bien équilibrées. Sur les micro-barriques, on a tout rapidement : ça boise bien mais sans excès, ça vieillit super bien. Les seuls inconvénients c’est que l’on perd beaucoup en part des anges, et que cela prend beaucoup plus de place qu’un fût de 350 litres, pour l’équivalent en volume. Donc ce sont des barriques top en termes de qualité, sauf qu’en termes de coût, l’écart est faible entre le prix du volume d’un petit et d’un grand fût.
Ce Belize était en fût chez-nous depuis 2017. Il avait passé 3 ans sur place au Belize, puis 7 ans en Angleterre.”
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Ferroni Brut De Fût Guyana Port Mourant 2008 63°
“Il a fait toute sa vie en ancien fût de bourbon, et on a continué l’élevage dans le même fût. On l’a mis en fût de Rye à la fin, en chai extrême, parce qu’on trouvait qu’il ne bougeait pas assez. Donc on l’a un peu « violenté » comme ça. Le principe du chai extrême est inspiré des chais de bourbon américains. Ce sont des chais en tôle, dont le but est de n’avoir aucune isolation thermique. Au contraire, on cherche à avoir des variations de température.
Aux États-Unis, c’est un climat continental où il y a de grands écarts de température entre l’été et l’hiver. En France, en Provence et dans la vallée du Rhône, les écarts sont aussi énormes. En été, on monte à 56-57°C dans le chai, et l’hiver on descend à -4°C. Chaque jour, j’ai quasiment 20°C d’amplitude thermique. Cela a deux influences : l’eau-de-vie se dilate et se rétracte chaque jour, donc elle va aller dans le bois et y voyager de manière quotidienne.
Il y a une aromatisation qui vient du fût qui est ultra-accélérée.
La deuxième chose, c’est que c’est une méthode qui convient à l’élevage en bois américain. Le chêne américain, notamment lorsqu’il est neuf (on travaille surtout avec du fût neuf que l’on fait faire. On ne travaille pas avec des fûts d’occasion), boise beaucoup et donne ce fameux goût vanillé que l’on retrouve dans les bourbons. Mais ça ne marche qui si l’on fait cet élevage avec des chocs thermiques. Quand on l’avait fait en cave, on avait un goût de sciure, de planche. Ce bois apporte beaucoup de tanins, mais pour qu’ils s’assouplissent il faut des chocs thermiques. On arrive à rattraper ce qu’on avait mis dedans en cave. On a repris les mêmes fûts, avec le même jus, on les a mis en chai sous tôle, et en l’espace d’une année, ça avait « confit » en quelque sorte.
C’est quelque chose qu’on a essayé avec le fût de chêne américain, mais pas avec le chêne neuf français. On n’en utilise pas pour l’instant, mais il faudrait essayer de voir ce que ça donne aussi.
Les fûts, je les fait faire à Cognac mais en chêne blanc américain. Ce sont des fûts américains français 🙂
C’est de bien meilleure qualité que les fûts américains classiques.
Le Rye vient de chez Warenghem (distillerie du whisky breton Armorik, ndlr). J’avais rencontré David (Roussier, ndlr) au Centre des Spiritueux à Segonzac, où l’on était en formation ensemble. Il venait juste d’intégrer la distillerie et il travaillait avec son beau-père. Il ne connaissait pas encore grand-chose en alcools. Je ne connaissais pas grand-chose sur la fabrication, mais comme j’avais une longue expérience de bar et que je faisais beaucoup de concours, j’avais de bonnes connaissances théoriques. On a sympathisé, on a échangé, il m’envoyait des choses de chez-lui à déguster etc. Il avait deux produits anciens que je trouvais superbes mais qu’il avait délaissés totalement, donc je l’ai un peu poussé à les relancer.
Je voulais un rye whisky, puisque le rye est un whisky culte dans le milieu du bar. C’est le whisky historique du cocktail, puisque tous les cocktails à base de whisky étaient faits au rye à l’origine. Ce produit avait totalement disparu, mais je lui ai demandé s’il pouvait en distiller à nouveau. Il m’a dit que justement il en avait, mais qu’il ne savait pas quoi en faire. Son beau-père avait fait ça il y a quelques années, et voulait le mettre dans le blend de la distillerie. Alors il m’a envoyé un « échantillon » de 220 litres, et je l’ai fait vieillir en fût de chêne américain, sous tôle. Ça a très bien marché, donc on a déposé la marque Roof Rye ensemble et puis d’un fût on est passés à 20, 30 fûts, etc.
On va sortir un deuxième produit, qui va sortir bientôt (on attend les étiquettes !).
On a une part des anges qui est énorme sur le rye, de l’ordre de 13 %.
C’est une des plus hautes du monde je pense. D’habitude, il vieillit en Bretagne pendant 5 ans environ, et puis on le laisse vieillir deux ans sous tôle. Là, on a un fût que l’on a laissé 5 ans. Il est à moitié vide, et en tout il aura vieilli 10 ans, ce qui en fait de loin le plus vieux rye français.”
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Ferroni Brut De Fût Maurice 2013 62,4°
“Ce sont des rhums qu’on a tous achetés la même année. Avec l’Île Maurice, on fonctionne par container, on fait notre shopping (on s’en sert beaucoup pour les rhums blancs). Comme il y a beaucoup de styles, c’est très pratique pour nous, parce que l’on peut remplir un container sans avoir à acheter 20.000 litres d’un seul rhum. On peut avoir de la variété avec un seul container.
Je travaille avec 5 distilleries : LaBourdonnais, Chamarel, Gray’s, Oxenham et Saint Aubin.
Dans ce batch là, il y a 4 rhums vieillis séparément, voire plus puisque pour LaBourdonnais ce sont deux rhums différents que l’on a assemblés. LaBourdonnais, en 2013, était une distillerie qui démarrait. Elle distillait par à-coups, et ça n’avait jamais le même goût. On avait acheté 3 de leurs rhums : un qui avait un goût de noix, un autre avec des notes de brûlé intéressantes, et un troisième un peu plus standard.
Chez Chamarel, on avait pris du pot-still et de la colonne, et chez Gray’s, un rhum distillé très haut, un rhum léger (dont on se sert pour l’assemblage Ambre, avec des rhums plus lourds). On avait donc isolé ces distillats, qui avaient commencé à vieillir séparément, et effectué nos premiers tests de barriques neuves de chêne américain. On a ensuite patiné nos fûts de chêne français avec ces rhums, puis on les a assemblés et on a fait vieillir le tout en fûts ex-rye et ex-rhum jamaïcain (Worthy Park 2010) sous tôle. C’est un rhum qui est en partie expérimental, avec des corrections !
Le profil pur jus de canne ressort encore, car même si les années de vieillissement sous tôle marquent beaucoup, l’assemblage est très majoritairement en pur jus (plus de 75%).
Avec le chai sous tôle, on recherche surtout l’extraction, mais je ne connais pas exactement l’impact en termes d’oxygénation. De tout façon cela coûterait trop cher si l’on cherchait vraiment le vieillissement long, les pertes seraient trop énormes. On cherche surtout la partie aromatique, et parfois quand on a vraiment un truc qui est bien, et que l’on veut encore faire vieillir, on le remet en cave dans des fûts plus neutres.
En général, on ne fait pas plus de deux ans dans les chais sous tôle, à part pour le rye série « les guêpes » qui va sortir, ou le Cuba qui avait fait 3 ans. On fait ces deux ans en début de parcours ou en fin de parcours. Soit on fait deux ans au début pour donner du goût, et après on fait vieillir tranquillement, soit on le fait à la fin, comme c’est le cas pour les Maurice qui ont vieilli pépère et que l’on a boosté à la fin.”
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Ferroni Brut De Fût Maurice Cerisier 49,8°
“C’est quelque chose qu’on ne devait pas sortir au départ, mais qu’on a fini par sortir pour montrer sa curiosité. Ce sont de vieux millésimes que l’on avait en stock, en blanc, que l’on a mis en fût de cerisier. C’est ultra perturbant, surtout au début, parce que quand tu dégustes c’est vraiment étrange.
C’est parti d’une expérience que je suis en train de mener, qui est un projet de fûts de « rhum balsamique ». Le but est de faire un parcours de 7 essences de bois avec un type de rhum. Donc je cherchais des essences que l’on utilise pour le vinaigre balsamique, notamment le cerisier et le frêne. J’ai commencé à faire vieillir dans des fûts que j’avais achetés à Modène, chez un tonnelier italien. Ce sont des fûts qui normalement valent une fortune, mais il faisait aussi des fûts « économiques » en cerisier.
Au bout du vieillissement, on a un rhum qui fait vraiment vieilli, avec des notes de rhum vieux, mais aussi des notes tellement pas présentes dans les spiritueux, que c’est très perturbant.
Maintenant qu’il est à point, quand tu le bois, au début tu n’apprécies pas parce que tu cherches, tu réfléchis, parce que c’est très différent. Mais en fait c’est bon, il faut y revenir plusieurs fois, et finalement le deuxième jour tu te dis que c’est bon, que ça se marie bien, qu’il y a une bonne longueur etc. C’est différent de tous les spiritueux boisés, vieillis. Au départ on dirait que l’on a mis un parfum ou quelque chose comme ça dedans.
Il est resté 3 ans et demi en fût. Typiquement, ce fût apporte surtout des notes de résine de cerisier, celle qui sort parfois de l’arbre et que l’on peut mâcher comme un chewing-gum. Il y a un côté mastic, un peu amande amère, et de vagues notes de noyau de cerise.”
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Ferroni Brut De Fût Gwada 2012 52,3°
“C’est un Reimonenq, qui n’est pas un « Guadeloupe » puisqu’il ne respecte pas le cahier des charges de l’IGP Guadeloupe. C’est un rhum que j’ai acheté bien vieux déjà, il a bien la patte Reimonenq. Le père Reimonenq à certainement apporté sa touche qui fait tout le caractère unique de ces rhums.
Il a connu le même parcours que le Belize, donc micro-barrique en chai humide, pour la même durée. On l’a reçu à 58 %, et il a été mis en fût au même degré (et embouteillé brut de fût à 52,3 %, le chai humide a fait son œuvre, ndlr).”
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Est-ce qu’il resterait par hasard un peu du fameux Gwada 1998 ?
“Non, il m’en restait en bouteille, en version réduite, mais je les ai assemblées cette semaine dans un fût. Je les ai mises dans un fût que je vais sortir bientôt, un micro-fût de 10 litres, assemblé avec du Longueteau, comme ça on reste en Guadeloupe ! C’est un assemblage 50-50 avec un Longueteau à 60 % que j’avais reçu en blanc et que j’avais en fût depuis plusieurs années (2016).
On retrouve ces rhums dans les micro-cuvées « Pyjama Party » (cuvée de la rhum Society de Noël au Monte Cristo), et aussi dans les « fûts pirates » qui sortiront au cours de l’année 2021. Ce sont des fûts qu’on a caché dans les sommets autour de Marseille.
En fût, j’ai aussi du Reimonenq 2016 que j’avais reçu en blanc et que j’avais mis en barrique de cognac. Ça sortira en brut de fût dans quelques années.”
J’ai aussi vu que tu avais embarqué quelques fûts sur le voilier cargo De Gallant (avec les marins de la Blue Schooner Company)
“Oui, on en a mis quatre cette fois-ci, pour faire tout une rotation. Il y a un fût de grogue (la partie de grogue lourd de l’assemblage Vulcao), un Chamarel 3 ans, un Longueteau 2016, et un Belle Cabresse 2016. Il y a aussi deux fûts de Manikou. Ils font un aller/retour aux Antilles, avec des étapes, des arrêts, et ils reviendront à peu près dans 4 mois. On goûtera à leur retour, et on verra si l’on poursuit le vieillissement après ça.”
Combien de fûts as-tu en ce moment en tout dans tes chais ?
“Nous avons 582 fûts en stock tout compris, en comptant les fûts de 10 litres (une trentaine) et les 56 litres (une quarantaine). Le volume total en vieillissement est de 75,000 litres. À ça, il faut ajouter un chai en sous-traitance chez Gray’s, à l’Île Maurice, avec une cinquantaine de fûts, et un chai au Cap-Vert avec une quinzaine de fûts.”
Peux-tu nous parler du tout nouvel « Atelier du Rhum » ?
“C’est un concept un peu hybride que l’on fait dans le centre de Marseille. Il y a une partie chai, où l’on fait vieillir des spiritueux et où l’on fabriquera toutes mes liqueurs sur lesquelles figure la mention « Marseille » (l’Eau verte de Marseille, le Ratafia de Marseille etc). Il y a un chai de rhum, un véritable chai déclaré, sous douane. C’est aussi un lieu de dégustation et un lieu d’ateliers, pour apprendre à faire des cocktails, des masterclasses rhum etc, et puis il y a une partie boutique. C’est un point d’ancrage dans le centre-ville de Marseille, qui va ouvrir progressivement au courant du mois de décembre 2020.”
Passionnante cette recherche permanente des saveurs avec les étapes de l’élevage sur les différents jus.Pour notre fructueuse collaboration au Cap Vert avec Musica e Grogue.