Notre première sélection de shochu arrive sur Rhum Attitude ! Pour découvrir cette eau-de-vie traditionnelle du Japon, nous nous sommes adressés à l’un de ses meilleurs ambassadeurs :
Keiichiro Miyagawa est Grand passionné de saké, de shochu et d’awamori, il œuvre depuis de nombreuses années à leur reconnaissance en France :
« Je suis arrivé en France au mois de mai 1990. J’ai commencé à travailler dans un restaurant du groupe Suntory, qui possédait le Château Lagrange, 3ème cru classé de Saint-Julien, et qui est aussi à l’origine de la première distillerie de whisky du Japon, créée en 1923.
J’ai commencé comme maître d’hôtel – sommelier, puis je suis devenu directeur de l’établissement jusqu’en 2000. Lorsque l’ancien propriétaire est décédé, la quasi-totalité des restaurants du groupe ont fermé. On m’a alors dit « soit vous rachetez le restaurant, soit vous rentrez au Japon ». J’étais jeune, et un restaurant de 80 couverts sur les Champs Elysées coûtait déjà beaucoup d’argent. Donc j’ai quitté Suntory mais je suis quand-même resté en France, où j’ai eu l’opportunité de travailler dans la mode.
C’est grâce à la société pour laquelle j’ai travaillé à l’époque en tant qu’agent que je suis là où je suis aujourd’hui. C’est là que j’ai appris à attirer les clients, et surtout que j’ai approfondi mes connaissances au sujet des lois de l’importation.
Pendant ce temps, j’ai continué à m’intéresser aux boissons alcoolisées. J’ai travaillé dans un restaurant étoilé, le Stella Maris, pas loin de l’Arc de Triomphe. Et puis je suis parti au Japon pour ouvrir deux restaurants, gastronomique et bistro, à Wakayama juste à côté d’Osaka.
En 2007, j’ai commencé à travailler dans un grand magasin d’alimentation japonaise, Isse Workshop du côté de Saint Augustin à Paris. C’est là que j’ai commencé à vendre du saké, y compris aux restaurants japonais. Je proposais notamment du saké Ginjo, haut de gamme.
« Cela a été compliqué au départ, les restaurateurs me prenaient pour un fou car mes sakés étaient chers, mais j’ai travaillé tous les soirs, présenté mes produits, et puis 3 ans après, sur la chaîne NHK, on annonçait un boom du Ginjo à Paris ! C’était l’avènement d’un saké moderne, fruité, élégant, comme le vin. »
Et puis en 2011 nous avons eu quelques problèmes avec le tsunami (qui a provoqué l’accident nucléaire de Fukushima, ndlr). J’étais encore tout seul à l’époque, je travaillais beaucoup, et malheureusement toutes les marchandises ont été bloquées pendant presque un an.
Ensuite, petit à petit, j’ai commencé à travailler avec des restaurants français gastronomiques. Et puis en 2015, j’ai écrit un livre en français sur le saké, le premier du genre. La même année, je suis allé au Japon en compagnie de chefs français, pour organiser des dégustations de saké.
Plus tard, avec Xavier Thuizat, chef sommelier, nous avons eu l’idée de créer un concours. Je me suis occupé de l’organisation, et lui de constituer les jurys. La première édition du concours Kura Master a eu lieu en 2017. L’objectif était de faire parler du saké, par les sommeliers notamment, afin d’atteindre les quelques 8000 cavistes du pays. C’était la première grande dégustation en France, où nous avons dégusté 500 sakés. Puis il y en a eu 700, 800, et 1000 cette année. Les shochus sont aussi arrivés au concours en 2021. Nous avons réussi à créer une mode, en véhiculant une certaine image du Japon, également grâce à un évènement appelé Matsuri Festival qui a accueilli 11 000 personnes. »
Pouvez-vous nous présenter brièvement le shochu ?
C’est tout d’abord une eau-de-vie japonaise, pour laquelle on utilise le Koji. La distillation se fait en alambic traditionnel, en une seule passe. Le résultat est simple, et cela permet de présenter l’ingrédient principal directement. Lorsque l’on distille en une passe, on obtient une eau-de-vie qui titre entre 36 et 42% d’alcool environ, qui est ensuite diluée jusqu’à 25% (c’est le cas pour 90% du marché japonais).
Pour le shochu, il y a une cinquantaine d’ingrédients autorisés. Les trois principaux sont le riz, bien entendu ; l’orge, comme pour le whisky ; et la patate douce. C’est sur l’île de Sakurajima que cette dernière a commencé à se développer. Cette île fait partie de l’appellation Satsuma Shochu (shochu de patate douce de Kagoshima, ndlr), et bénéficie d’une terre volcanique active où les cendres pleuvent toute l’année. Cette terre volcanique, tout comme le sable, n’est pas adaptée au riz. En revanche, elle fonctionne très bien avec la patate douce ou le radis blanc.
« Le sarrazin ou le sucre de canne sont aussi des ingrédients importants. »
Lorsque l’on parle de shochu de riz, on peut distinguer les shochus du nord et du sud. On a par exemple le Kuma Shochu, une appellation d’origine de la région de Kumamoto, et l’Awamori de la région d’Okinawa.
Au sud, on préfère le riz indica en raison d’un climat humide et chaud, proche du climat thaïlandais d’où est issue cette variété. C’est un riz fin et long, avec moins d’amidon que le riz japonica, plus petit et très gluant, que l’on utilise pour le Kuma Shochu. Le Kuma Shochu et l’Awamori sont donc deux produits complètement différents, bien que produits tous deux à base de riz.
Quelles sont les origines du Shochu ?
Au départ, les boissons distillées sont venues au Japon par la Chine et la Corée, plutôt dans le sud, aux alentours du XVème siècle. La première distillerie japonaise a été recensée en 1549. Mais à l’époque il n’y avait pas de patate douce, et même à Kagoshima ont faisait du shochu de riz. Kumamoto est la première région d’eau-de-vie, ou en tout cas la première où l’on a recensé un alambic. L’ancêtre du shochu s’appelait alors « lambiki », ce n’était ni plus ni moins que du saké distillé. On parle aussi d’Okinawa parmi les premières régions productrices, mais on ne dispose pas de suffisamment de preuves.
« Honkaku Shochu » signifie shochu authentique, traditionnel. Au départ, on l’appelait « Otsurui Shochu » (distillé en une fois, désigné comme inférieur), par opposition au « Korui Shochu » (shochu moderne distillé en colonne, supérieur). Avant que les colonnes de distillation n’arrivent au Japon, il n’y avait qu’un seul type de shochu. Le nouveau shochu, plus moderne, plus propre, plus haut en alcool a donc été qualifié de supérieur. Le vrai shochu, avec plus de goût, a ainsi été injustement rebaptisé « inférieur ». C’est la maison Kirishima Shuzo qui l’a alors renommé « Honkaku » (véritable) par la suite, dans les années 1970.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le koji, et quel est son rôle ?
Le koji est une moisissure qui a pour rôle de transformer l’amidon en glucose (c’est l’équivalent du maltage pour l’orge du whisky, ndlr), et ses enzymes transforment les protéines en acides aminés qui sont à l’origine de l’umami.
Il est arrivé au Japon au VIème siècle, et il est utilisé dans de nombreux aspects de la gastronomie japonaise, comme la sauce soja, le miso, le mirin, etc.
Le « ki koji », le koji jaune, est celui que l’on utilise pour le saké.
Pour le shochu, le koji noir (« kuro koji ») est le plus utilisé. Il produit beaucoup d’acide citrique, ce qui concourt à une bonne conduite de la fermentation, mais cette acidité ne se retrouve pas au goût, sauf dans de rares cas assez mystérieux.
Cette acidité évite les contaminations, elle tue tous les microbes qui ont tendance à se développer, surtout à des températures importantes comme dans le sud. Sur Okinawa par exemple, pour l’appellation Awamori, on n’utilise que le koji noir.
« Un jour un employé d’un fabricant de koji a trouvé par hasard un koji blanc au milieu du koji noir. »
Cette découverte est assez récente. Si le koji noir donne des goûts un peu plus riches et davantage de corps, le koji blanc, lui, donne des choses plus fines, plus dynamiques.
Pour commencer il faut préparer le koji, sur une base de riz cuit à la vapeur, pour une première fermentation. Cela peut se faire sur d’autres bases comme l’orge ou la patate douce, mais c’est très difficile, donc le riz est largement plus courant. Ensuite, on ajoute un ingrédient pour une deuxième fermentation, la patate douce par exemple.
Pour résumer, on commence par un pied de cuve, comme pour le vin naturel, puis on passe à la fermentation principale.
Comment se passe la distillation du Honkaku Shochu ?
Au départ, la distillation se faisait uniquement en alambic traditionnel (à pression atmosphérique, ndlr) mais la distillation sous-vide a été introduite assez récemment, il y a 20 ou 30 ans. J’ai d’ailleurs pu visiter l’une des premières maisons qui faisaient de la distillation sous vide, à Fukuoka. C’est le grand père de l’actuel distillateur qui avait développé ce système, au départ pour la fabrication d’eau-de-toilette. Il a imaginé que la distillation sous vide du shochu, donc à une température plus basse, pouvait être intéressante et pouvait donner un goût plus subtil. La distillation sous vide mettait en avant les qualités fruitées, florales, comme la banane, le melon, la pomme. Cela n’existait pas auparavant.
Les deux distillations sont pratiquées aujourd’hui, et l’on peut aussi composer en assemblant les eaux-de-vie. Cela permet d’apporter de la subtilité, lorsque l’ingrédient principal est trop présent.
« Au Japon, le shochu se consomme en mangeant, donc on cherche surtout l’équilibre. »
Si l’on veut déguster le shochu pur et non dilué, il existe des types plus puissants, bruts d’alambic, au-delà de 35%. On peut les déguster purs et bien sûr en cocktail. C’est le cas du Daiyame 40%, un shochu de patate douce très aromatique. Cela peut parler aux amateurs de spiritueux que l’on trouve plus traditionnellement en France. Le Daiyame par exemple, je le déguste simplement avec un glaçon, ou dilué avec 30% d’eau et un glaçon, c’est un équilibre magnifique.
D’un autre côté, les shochus classiques assez faibles en alcool correspondent à une demande actuelle des barmen et des clients pour des alcools moins forts, mais aussi sans sucre. Il faut rappeler qu’il y a 0% de sucre dans le shochu.
Le shochu permet aussi d’explorer le territoire des cocktails…
Jusqu’à aujourd’hui, le shochu était pensé pour un consommateur plus âgé. Mais la clientèle se rajeunit. Nous nous sommes rendus au Japon au mois d’août dernier, avec Christophe Davoine, MOF Barman, Baptiste Bochet qui a écrit le livre « Saké » avec Youlin Ly (et Fabien Humbert de Rumporter ndlr) et Julien Echasserieau, Champion de France Barman. Nous avons visité pas mal de domaines, et nous avons vu que beaucoup d’entre eux évoluaient vers un shochu moderne, à destination des jeunes gens.
« La tendance du « low alcool » et « low sugar », ainsi que l’engouement pour les cocktails, font que nous sommes dans une époque idéale pour le shochu ! »
Pour un cocktail, les shochus à plus de 35% sont préférables afin de tolérer la dilution. La plupart des shochus sont autour des 25%, ce qui est déjà assez léger, et ce qui ne nécessite pas forcément de dilution. Mais cela est vrai pour la France, car au Japon, on consomme le shochu en mangeant. Dans ce cas, on le consomme plutôt « oyuwari » (dilué avec de l’eau chaude, ndlr), ou même « maewari ». Le Maewari se prépare quelques jours à l’avance. On met toujours l’eau en premier, puis le shochu, puis on met de côté pendant 2 ou 3 jours, c’est excellent. Pour moi le mélange parfait est 60% de shochu et 40% d’eau. On peut diluer encore davantage au Japon, mais c’est trop faible pour moi, je suis français maintenant !
Le shochu de patate douce (imo shochu) se prête particulièrement bien aux cocktails, non ?
Il y a beaucoup de variétés de patates douces : peau blanche, peau rouge, chair blanche, chair jaune… Chaque variété donne des goûts différents. Dans les années 1970, on utilisait n’importe quelle variété car il n’y avait pas de sélection, elles étaient toujours mélangées.
Avec la distillation sous pression atmosphérique, on sentait directement la matière première, la patate douce, mais cela s’arrêtait là. Mais aujourd’hui, la distillation à basse pression a changé les choses. On sélectionne davantage, on cherche à sentir les différences entre les variétés, comme la Beni Otome (« beni » : rouge, et « otome » : jeune fille) à la peau violette et au parfum très intéressant, qui donne surtout beaucoup de corps au shochu.
La sélection et la distillation à basse pression permettent d’obtenir des choses très intéressantes et très fruitées, comme le Flamingo Orange par exemple. On a un spiritueux blanc qui est différent d’un gin. Ce dernier est issu d’alcool neutre et de botaniques ajoutés, alors que le Honkaku Shochu n’est distillé qu’une fois et retient les arômes de la matière première. Le shochu a aussi la particularité de pouvoir être dégusté dès la sortie de l’alambic, au contraire du whisky, du cognac ou du calvados. Les vieillissements montrent aussi qu’il réagit rapidement au bois et à la maturation.
« Le shochu de lies de saké est également intéressant en cocktail. On sent des arômes qui ressemblent au Roquefort, des arômes persillés, épicés, poivrés… »
L’Awamori d’Okinawa est aussi fait à partir de riz uniquement. On y sent souvent des notes iodées. Le riz utilisé est le riz indica (riz thaï, ndlr), pas le riz japonica. Ceci est dû à la géographie d’Okinawa, au sud de l’archipel du Japon, proche de la Thaïlande et de son climat. Il y a plus d’humidité et plus de chaleur, et le riz japonais ne peut pas s’adapter. D’ailleurs il ne s’adapte pas non plus à Kagoshima. Il n’y a qu’à partir de Kumamoto, au milieu de l’île de Kyushu, que l’on retrouve du shochu de riz japonais. Plus au sud, cela ne fonctionne pas.
Avant, on importait du riz de Thaïlande, mais aujourd’hui on cultive le riz indica à Okinawa, et ce de plus en plus. Après la guerre, les Américains ont coupé les rizières des brasseries (les Américains ont occupé le Japon entre 1945 et 1952, ndlr). Une époque difficile s’en est suivie, les domaines ont été affaiblis et se sont raréfiés. Depuis, les agriculteurs et les brasseurs / distillateurs établissent des contrats, mais la gestion de la qualité reste très compliquée. Les fermiers privilégient souvent la quantité à la qualité. Ils ont recours à plus de produits chimiques par exemple. Ce n’est pas du tout une bonne chose pour les brasseries.
Mais la loi change peu à peu. Les domaines commencent tout juste à pouvoir racheter des rizières, à contrôler eux-mêmes leur qualité. On trouve de plus en plus de fermiers brasseurs, que ce soit dans le shochu ou dans le saké.
Est-ce qu’il existe différents « cépages » de riz ?
Les deux cépages de riz les plus importants pour le saké japonais sont le Yamada Nishiki, qui se trouve principalement dans la préfecture de Hyogo, et le Gohyakumangoku. « Gohyakuma » signifie 5 millions, et le « goku » est ancienne unité de mesure correspondant à 180 litres. (Donc Gohyakumangoku signifie « 5 millions d’unités », en commémoration du rendement du riz de Niigata dépassant la barre des cinq millions de goku en 1957, l’année où la variété a été enregistrée, ndlr).
En 2020, le Yamada Nishiki représentait 30% de la production totale de saké, et le Gohyakumangoku, 21%. Plus de la moitié de la production se fait donc sur seulement deux cépages. On peut ensuite citer le Miyama Nishiki de la région de Nagano (7%), le Akita Komachi (2,7%) et Omachi (2,4%). Chaque région possède ensuite ses variétés locales.
Est-ce qu’il existe des shochus vieillis ?
Le vieillissement (ou plutôt repos / maturation, ndlr) se fait en général durant 6 mois. Il est de plus en plus fait en jarre enterrée pour les plus petites maisons, mais la plupart du temps en cuve émaillée ou inox. On a également de plus en plus de fûts de chêne et des vieillissements plus longs, surtout pour le shochu d’orge, de riz. On a même quelques petites finitions sur des shochus de patate douce.
Ndlr : Pour l’awamori « kusu » (vieilli 3 ans en pots de terre cuite), on a souvent recours à un système comparable à la solera. Les eaux-de-vie sont assemblées afin que les plus âgées « éduquent » les plus jeunes.
Merci Kei pour cette présentation passionnante, et maintenant place à la dégustation, à la découverte du monde du shochu !
Merci à la distillerie Hamada Shuzo pour les photos qui illustrent cet article (tous droits réservés).